
Au Togo, envoyer de l’argent d’un compte Mobile Money à un autre peut relever du parcours du combattant… surtout si l’expéditeur et le destinataire n’utilisent pas le même opérateur. Malgré l’essor fulgurant du paiement mobile, les plateformes comme « Mixx By Yas » (Ex Tmoney) et Moov Money (Flooz) restent hermétiquement fermées les unes aux autres, obligeant les usagers à jongler entre plusieurs comptes et à payer des frais exorbitants pour des transactions pourtant simples.
Lorsque Kossi, un commerçant de Lomé, reçoit des paiements via Moov Money, il se retrouve souvent contraint de retirer l’argent avant de pouvoir le transférer à un fournisseur utilisant Mix by Yas. « Chaque transaction me coûte des frais supplémentaires. Je perds du temps et de l’argent. Pourquoi ne pouvons-nous pas envoyer de l’argent directement d’un réseau à un autre ? » s’interroge-t-il. Un utilisateur qui reçoit de l’argent sur Mixx By Yas mais doit payer son fournisseur via Moov Money doit effectuer une double transaction, augmentant ainsi ses coûts. « Chaque mois, je perds au moins 5 000 FCFA en frais inutiles, juste parce que mes fournisseurs n’utilisent pas le même service que moi. Parfois, nous n’avons pas l’intention d’utiliser un second numéro, mais nous y sommes obligés juste pour les transactions », témoigne Issa, propriétaire d’une boutique d’électroménager.
Comme Kossi et Issa, de nombreux Togolais font face à des défis quotidiens causés par la non-interopérabilité des services de paiement mobile. « Aujourd’hui, l’interopérabilité n’est pas encore opérationnelle entre Mixx By Yas et Flooz. Mais ces services passent par des intermédiaires qui facturent chers ces transactions », Sam Adambounou., Spécialiste en économie numérique et Fiscalité.
Le marché Mobile Money au Togo est largement dominé par Mixx by Yas (anciennement Togo Cellulaire) (60 % des abonnés) et Moov Africa Togo (40 % des abonnés), selon les données publiées par l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) sur la période de juillet à Septembre 2024. Cependant, cette domination partagée ne favorise pas l’intégration des services. « Ces opérateurs ont peu d’intérêt à faciliter l’interopérabilité, car ils préfèrent garder leurs clients captifs », a indiqué Dieudonné Fiagan, un des responsables de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT). Pourtant, une ouverture entre les plateformes permettrait d’accroître les volumes de transactions, d’améliorer la concurrence et d’offrir des services plus accessibles à la population. « Un système de paiement interopérable permettrait aux populations non bancarisées d’accéder plus facilement aux services financiers. Aujourd’hui, l’obligation de rester dans un même réseau limite les possibilités et rend les services coûteux pour les utilisateurs », explique-t-il.
Le rapport mondiale 2023 de la GSM Association (Global System for mobile Communications, anciennement Groupe Spécial Mobile), une organisation sectorielle axée sur la normalisation et l’interopérabilité, a mis l’accent sur l’interopérabilité du mobile money pour le renforcement de l’inclusion financière. « L’interopérabilité de compte à compte (A2A) facilite les transactions des utilisateurs en leur permettant d’accéder à des clients extérieurs au réseau de leur fournisseur. L’interopérabilité A2A permet des transactions plus rapides, abordables et sécurisées. Elle appuie également les objectifs des gouvernements en facilitant l’inclusion financière et en renforçant la sécurité des fonds », révèle le rapport.
Le Togo affiche pourtant des avancées notables en matière d’inclusion financière. Au 3e trimestre 2024 (T3 2024), les données publiées par ARCEP, témoignent d’une croissance continue du Mobile Money. Les chiffres publiés par l’ARCEP démontrent que le nombre d’abonnés Mobile Money continue de croître. Moov Africa Togo compte 1,64 million d’abonnés au T3 2024, soit une augmentation de 23 % par rapport au T3 2023. Togo Cellulaire atteint 2,45 millions d’abonnés, enregistrant une croissance plus modérée de 9 % sur la même période. Au total, le nombre d’abonnés Mobile Money au Togo est passé à 4,09 millions, affichant une croissance annuelle de 23,9 %.
Le volume des transactions Mobile Money a également connu une progression significative. Le nombre total de transactions a augmenté de 28 % en un an, passant de 79 millions à 101 millions de transactions au troisième trimestre 2024.
Toutefois, l’absence d’une infrastructure unifiée entre les opérateurs réduit l’impact de cette évolution. « L’interopérabilité est la clé pour passer d’une inclusion financière de façade à une inclusion financière réelle », affirme Sam Adambounou.
Si l’interopérabilité devient effective au Togo, c’est l’économie du pays qui en sera gagnante. Mais, d’ici là, les Togolais devront continuer à jongler entre différents comptes et payer des frais inutiles. Cependant Sam Adambounou estime que l’effectivité du SPI interopérable de l’UEMOA, dont la phase pilote est lancée par la BCEAO en juillet 2024, pourrait constituer un jalon important pour l’interopérabilité des services de paiements au Togo.
Joël Dadzie
Article publié dans le cadre de la Phase II du programme de Bourse de Journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) initié par la Media Foundation for West Africa (MFWA) et Co-Develop
Des exemples d’interopérabilité réussis
Outre Ghana Interbank Payment and Settlement Systems (GhIPSS), qui a mis en place une plateforme nationale qui relie les services de paiement mobile, les banques et les fintechs, le Ghana dispose d’un Système de Paiement Instantané d’argent mobile baptisé Système Mobile Money Interoperability « Ghana MMI ». Ces deux SPI sont répertoriés comme des infrastructures publiques numériques au Ghana, dans le rapport 2024 de AfricaNenda sur l’état des lieux des SPI inclusifs en Afrique.
Dr. Ernest Addison, Gouverneur de la Banque du Ghana a vanté les mérites de ces systèmes lors du Dialogues sur la prospérité en Afrique en janvier 2024 sous le thème : « renforcer l’interopérabilité mobile pour approfondir l’inclusion financière et le commerce intra-africain ». « …Le Mobile Money a joué un rôle clé dans l’inclusion financière et, compte tenu de ses nombreux avantages, un effort significatif doit être fait pour renforcer l’interopérabilité du mobile money à travers l’Afrique. Une telle avancée permettrait aux populations mal desservies d’accéder à des outils financiers essentiels, favorisant ainsi l’épargne, l’octroi de crédits et des transactions sécurisées, tout en contribuant à la stabilité économique et à la croissance », avait-il déclaré.