
Au Togo, DokitaEyes, une plateforme révolutionnaire centralise les dossiers médicaux, permet au personnel soignant de faire un suivi médical structuré facilitant ainsi l’accès à des soins efficaces à des milliers de patients…
Carnets de santé égarés, prescriptions oubliées, manque de suivi médical pour faute de données médicales disponibles… autant d’obstacles qui peuvent coûter la vie aux patients. Mais une innovation numérique change la donne : DokitaEyes. Lancée en 2015 par une équipe de jeunes entrepreneurs togolais, DokitaEyes compte aujourd’hui plus de 40.000 utilisateurs et s’attaque aux plus grands défis du système de santé : la fragmentation des informations médicales ; l’absence de suivi des patients et la distance qui sépare ces derniers des hôpitaux. Contrairement aux carnets de santé papier, facilement égarés ou oubliés, cette solution permet aux professionnels de santé d’accéder en un instant aux antécédents médicaux de leurs patients. Peu importe l’hôpital ou la clinique où ils se trouvent, ils peuvent scanner le QR code et consulter l’historique des consultations, des traitements prescrits et des analyses effectuées. Avant l’avènement de DokitaEyes, le désarroi des patients et de leurs parents était légion.
Koffivi courait à perdre haleine, le sachet de médicaments à la main. Il venait enfin de trouver les précieux traitements après une longue errance dans les pharmacies de la ville. Mais lorsqu’il franchit les portes de l’hôpital, tout s’arrêta. Son père, Kodzo, venait de rendre l’âme quelques secondes plus tôt. Le choc est brutal. Qui accuser ? Bien avant cette quête désespérée des médicaments, d’autres obstacles avaient compliqué la prise en charge de son père. L’équipe soignante avait eu toutes les peines du monde à reconstituer son historique médical. Comme des millions de patients en Afrique, Kodzo n’avait jamais eu de dossier médical centralisé. À chaque consultation, un nouveau carnet était acheté, remplaçant le précédent perdu entre deux visites. Résultat : impossible d’assurer un suivi efficace, d’analyser l’évolution des symptômes ou de poser un diagnostic précoce. Pourtant, la maladie qui l’a emporté était évitable. Un traitement adapté existait, mais faute d’antécédents médicaux et de suivi, la prise en charge avait été trop tardive.
L’histoire de Koffivi n’est pas un cas isolé. Des milliers de Togolais vivent quotidiennement ces drames dans un système de santé où l’accès aux soins est un véritable parcours du combattant. Manque d’informations, consultations éclatées, distances infranchissables… autant de barrières qui peuvent coûter la vie. Sauf qu’à la différence d’autres personnes, ce vécu est devenu une solution pour tout le monde : DokitaEyes, une application numérique révolutionnaire qui digitalise le carnet de santé.
DokitaEyes : la réponse à un problème systémique
Aussi, une fois la consultation terminée, le médecin perd tout contact avec son patient. Or, dans de nombreuses pathologies, un contrôle régulier est crucial pour ajuster les traitements et éviter des complications insoupçonnées. DokitaEyes vient combler ce vide. Grâce à son interface, les patients peuvent envoyer des messages audios, des photos ou des vidéos à leur médecin pour signaler l’évolution de leur état de santé. « Aujourd’hui, lorsqu’un patient quitte un centre de santé, il devient un perdu de vue. Avec DokitaEyes, nous offrons un suivi médical structuré et accessible », explique Koffivi Agbetiafa, co-fondateur de la plateforme.
Dans les milieux reculés, les femmes enceintes, les personnes âgées ou les malades chroniques doivent parfois parcourir des distances interminables pour un simple contrôle médical. DokitaEyes réduit cet écart grâce à un système de suivi à domicile. La plateforme permet également de prendre rendez-vous en ligne avec un médecin, un spécialiste ou même un facilitateur médical qui accompagnera le patient lors de sa consultation.
La gestion des prescriptions médicales a également été optimisée. Une fois une ordonnance numérisée dans DokitaEyes, elle peut être transmise directement aux pharmacies partenaires, qui répondent en indiquant la disponibilité des médicaments et leur coût. Le patient peut alors régler en ligne via Mobile Money avant de se faire livrer ou de récupérer ses médicaments sur place. Pour les analyses médicales, le principe est le même. Les patients peuvent envoyer leur prescription aux laboratoires partenaires, payer en ligne et recevoir leurs résultats directement dans leur espace personnel sur l’application. Ces résultats sont également transmis automatiquement au médecin prescripteur, garantissant un suivi optimal. « On a pu digitaliser le parcours de soins, du patient vers le laboratoire, du patient vers les pharmacies et du patient vers l’assurance », résume Koffivi Agbetiafa.
DokitaEyes ne se limite pas à un carnet de santé numérique. L’application intègre désormais un volet assurantiel en facilitant l’adhésion des patients à l’Assurance Maladie des mutuelles de santé et micro-assurance santé. Grâce à la digitalisation des données, l’application calcule automatiquement les frais à payer selon les conditions d’assurance du patient, simplifiant ainsi son parcours de soin.
Mais la véritable force de DokitaEyes, c’est son accessibilité. « DokitaEyes est accessible online et offline. Ceux qui sont dans les milieux urbains utilisent l’application Online. Et ceux qui sont dans les milieux ruraux utilisent l’application offline. Les agents de santé communautaire requis sur des projets de suivi des populations excentrés avec cette application offline crée des comptes à certains de ces patients cibles à faibles compétences digitales», révèle Koffivi Agbetiafa.
Une adoption progressive, mais des défis à relever
Si DokitaEyes représente une avancée majeure, son adoption massive se heurte encore à certains obstacles. L’accompagnement aux changements reste l’un des défis majeurs. L’habitude de recourir aux carnets de santé papier et la méfiance vis-à-vis du numérique ralentissent l’adoption de cette technologie.
Cependant, les perspectives sont encourageantes. L’application est interopérable avec d’autres systèmes de gestion hospitalière. Grâce à son interopérabilité, DokitaEyes s’intègre facilement aux infrastructures publiques numériques existantes ou en développement. « Si le gouvernement venait à instaurer un identifiant unique pour chaque patient, la plateforme pourrait s’y connecter via une API, garantissant ainsi un suivi médical fluide et centralisé », révèle Koffivi Agbetiafa.
L’histoire de Koffivi et de son père aurait pu être différente si Kodzo avait eu un suivi médical structuré. Grâce à DokitaEyes, de nombreux patients peuvent aujourd’hui bénéficier d’un accès rapide et fiable à leurs informations de santé, évitant ainsi des drames qui plongent des familles dans l’amertume.
Joël Dadzie
Article rédigé dans le cadre de la phase II de la bourse de journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPNs) initiée par la Media Foundation For West Africa (MFWA) avec l’appui de Co-Develop