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Togo/L’inaccessibilité de l’internet en zones reculées : Un frein au développement des infrastructures publiques numériques

Si le Togo aspire à devenir un hub digital en Afrique de l’Ouest d’ici 2025, cet objectif ambitieux est compromis par une fracture numérique persistante. Dans les zones rurales, l’inaccessibilité de l’Internet freine non seulement le développement des infrastructures publiques numériques, mais prive également une grande partie de la population des bénéfices des services digitaux de l’État.

 

Un impact direct sur les infrastructures publiques numériques

Dans le cadre de sa feuille de route 2020-2025, le gouvernement togolais ambitionne de devenir un hub digital en Afrique de l’Ouest. Cependant, une campagne de mesure de l’ARCEP, menée du 15 juillet au 23 août 2024, révèle des écarts significatifs dans la qualité des services Internet entre le Grand Lomé et le reste du pays. Si Togo Cellulaire (TGC) devenu « Yas Togo » et Moov Africa Togo (MAT) enregistrent des progrès, les taux de conformité restent faibles, avec respectivement 70,68 % pour TGC et 44,61 % pour MAT.

Pour les services Internet 4G, le Grand Lomé affiche un taux de conformité de 84,52 % pour TGC, tandis que MAT se situe à 51,19 %. En revanche, dans les zones reculées, ces chiffres chutent drastiquement à 73,75 % pour TGC et à un maigre 30,21 % pour MAT.

« La fracture numérique est bien réelle. Les localités rurales peinent à accéder à un réseau de qualité, ce qui freine l’implantation des infrastructures publiques numériques », déplore Bright Kwame Fiagan, membre fondateur de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT).

L’absence d’une couverture réseau fiable limite considérablement l’efficacité des services publics numériques dans les zones rurales. Sans Internet, les initiatives telles les plateformes d’administration en ligne restent inaccessibles pour une grande partie de la population.

« Les infrastructures publiques numériques sont pensées pour réduire les inégalités et favoriser le développement. Mais si les zones rurales ne peuvent pas y accéder, cela renforce encore plus la fracture entre villes et campagnes », souligne Adambounou, spécialiste en transformation digitale.

Selon lui, les services numériques pourraient jouer un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté, à condition que l’État adopte une approche proactive : « Il faut rendre ces zones économiquement viables. En renforçant la décentralisation et en créant des pôles économiques en milieu rural, les opérateurs seraient incités à investir. »

 

 

Des témoignages poignants qui traduisent une réalité alarmante

À Djarkpanga, (environ 475 km de Lomé) chef-lieu de la préfecture de Mô située à l’ouest du Togo, dans la région centrale, près de la frontière du Ghana, les habitants décrivent un quotidien marqué par l’absence de connexion. « Nous vivons comme si nous étions dans un autre siècle », confie Kossi, un agriculteur de 42 ans à Djarkpanga. « Pour appeler quelqu’un ou accéder à Internet, il faut grimper sur la colline la plus proche. Parfois, même là-haut, le réseau reste capricieux ».

La scène est presque irréelle. Des dizaines de personnes escaladant des collines avec leurs téléphones portables, espérant capter un signal. Certains y passent des heures, juste pour envoyer un message ou vérifier une information en ligne.  Les services digitaux mis en place par l’Etat dont l’obtention du casier judiciaire en ligne ainsi que d’autres restent hors de portée pour des milliers de citoyens.

Lors d’une tournée récente dans ces localités, Bright Fiagan rapporte l’indignation des populations. « Nous avons rencontré des gens qui ne bénéficient même pas du réseau de base. Ces Togolais, pourtant égaux en droits avec ceux des villes, doivent parcourir des kilomètres ou improviser des solutions désespérées pour se connecter. C’est inadmissible ».

Sam Adambounou, explique que le problème est autant économique que technique. « Desservir les zones rurales n’est pas rentable pour les opérateurs. Les infrastructures coûtent cher, et la densité de population dans ces régions est faible. Mais cela ne devrait pas être une excuse pour négliger leurs obligations de couverture nationale inscrites dans leurs cahiers des charges », affirme-t-il.

 

Des pistes de solutions

Adambounou Sam plaide pour une intervention plus ferme de l’État. « Les licences des opérateurs incluent une clause de couverture nationale. Pourtant, dans les faits, ils se contentent d’un service minimum dans les zones reculées. L’État doit imposer des obligations claires et surveiller leur application ».

Il propose des mesures incitatives pour encourager les opérateurs. « Des avantages fiscaux pourraient les pousser à développer des infrastructures dans les zones reculées. Cependant, il est également essentiel que ces entreprises assument leurs responsabilités sociales. » La création d’un Fonds pour le Service Universel, destiné à financer le déploiement de réseaux dans les régions les plus isolées, est également une piste évoquée. « Ces fonds doivent être utilisés de manière efficace pour garantir un accès équitable aux services numériques », ajoute Adambounou.

Bright Fiagan, pour sa part, insiste sur la nécessité d’un engagement collectif. « Nous recevons de nombreuses plaintes des consommateurs. Nous demandons aux citoyens de ne pas hésiter à interpeller directement les opérateurs lorsqu’ils jugent la qualité du service insuffisante. Mais il revient aussi à l’État de créer un environnement qui oblige ces derniers à investir ».

Avec des objectifs ambitieux pour 2025, tels que la couverture en haut débit de 95 % du territoire, le Togo est à un tournant décisif. Il revient désormais aux pouvoirs publics et aux opérateurs de traduire ces promesses en actions concrètes, afin que les habitants des zones reculées ne soient plus laissés pour compte dans cette révolution numérique.

                                                              Joël Dadzie       

 

Article publié dans le cadre de la Phase II du programme de Bourse de Journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) initié par la Media Foundation for West Africa (MFWA) et Co-Develop

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