
Il était parti une seconde fois en exil au lendemain du scrutin présidentiel du 22 février 2020 auquel il n’a cessé de revendiquer la victoire. La mort soudaine de Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo, ancien et très proche collaborateur de Gnassingbé Eyadema avant de passer à l’opposition, a été ébruitée à la surprise générale. Le décès loin de ses terres du natif de Tokpli est survenu le 3 mars 2024 à Tema en terre ghanéenne. Il allait souffler ses 70 ans.
La dépouille mortelle de l’ancien Premier ministre et président du Mouvement Patriotique pour la Démocratie et le Développement (MPDD) a été rapatriée dans la journée du jeudi 4 juillet par la route à partir du poste frontalier d’Aflao. Les obsèques sans honneur officiel ont eu lieu le week-end écoulé notamment à Lomé et à Tokpli, son village natal dans la préfecture de Yoto.
L’exposition dans la matinée dans la journée du vendredi 5 juillet 2024 de la dépouille mortelle de l’ancien Premier ministre à son domicile au quartier Tokoin-Forever, a précédé la veillée de prières et de chants qui a eu lieu à la Paroisse universitaire Saint Jean-Apôtre (Agora Senghor) à Lomé. Une messe d’enterrement a eu lieu le lendemain samedi en la même paroisse. Elle a été suivie de l’inhumation dans l’intimité au caveau familial à Tokpli, une localité frontalière avec le Bénin et qui fait partie de la dizaine que compte la préfecture de Yoto.
Qui était Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo, plus connu « Agbéyomé » ?
Un « précoce » de l’écosystème socio-politique togolais. Fils de Tokpli dans le Yoto, Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo y vit le jour le 12 octobre 1954. Ancien élève au Lycée technique de Lomé, il est passé par la Faculté de Gestion à l’Université de Lomé. Après un diplôme en gestion organisationnelle à l’Université de Poitiers en France obtenu en 1983, Agbéyomé Kodjo est revenu au Togo où il est promu pour la période 1985-1988, Directeur commercial de la Société Nationale de Commerce ( Sonacom).
Membre de la Jeunesse du Rassemblement du Peuple Togolais (JRPT), Agbéyomé Kodjo se voit confier, à 34 ans, le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture à partir de décembre 1988 jusqu’en septembre 1991. Au terme d’un accord politique entre le pouvoir et l’opposition démocratique, il a été nommé ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité à partir de septembre 1992 jusqu’en février 1993. Il a également dirigé, pendant plusieurs années, le Port Autonome de Lomé avec la mise en place du Terminal du Sahel de Togblékopé «dans le but de désengorger le Port et ses envions des camions en transit vers l’hinterland et fluidifier leurs déplacements…».
Sur le plan politique, Agbéyomé Kodjo a été élu sous la bannière du RPT, député à l’Assemblée nationale dans la 3è circonscription électorale de Yoto lors du scrutin législatif de mars 1999. Il a été propulsé au perchoir de ladite Assemblée lors de la formation du bureau, avant d’être nommé, en août 2000, à la tête de la Primature à la place d’Eugène Koffi Adoboli, limogé à la suite d’un vote de censure.
Fidèle parmi les fidèles, le fils de Tokpli passait pour être le « probable dauphin » de Gnassingbé Eyadema. Mais un conflit prit corps entre les deux hommes. Taxé de réformiste, il l’a été par le noyau des durs du Rpt après avoir suggéré des changements de méthode de gestion dans l’art de diriger les affaires de la cité.
Démis de ses fonctions de Premier ministre en juin 2002 pour des divergences des points de vue au sein du Rpt, Agbéyomé Kodjo quitte à la va-vite le pays et publie un brûlot intitulé «Il est temps d’espérer ». Il sera exclu des rangs du parti à la suite d’un vote du Comité central et déchu de l’Ordre du Mono pour trahison, en même temps que Maurice Dahulu Péré, ancien ministre et ancien Président de l’Assemblée nationale.
Un parcours politique teinté d’exils
Devenu grand pourfendeur du régime Eyadema alors qu’il était en exil, Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo s’était vu lancer un mandat d’arrêt international pour faits de corruption. De retour au Togo en avril 2005, quelques mois après le décès de son ancien mentor, il est mis aux arrêts pour « détournement de fonds présumé lorsqu’il était Directeur général au PAL». Il sera plus tard libéré et co-fonda avec Dahuku Péré un mouvement politique dénommé Alliance pour la Patrie (Alliance), un parti qui a existé le temps d’un éclair.
Candidat malheureux pour la présidence de la Fédération togolaise de football (FTF), l’ancien Premier ministre a fondé, en août 2008, un nouveau parti, l’Organisation pour Bâtir dans l’Union solidaire Togolaise (OBUTS) aux fins de solliciter les suffrages populaires lors du scrutin présidentiel de 2010.
Elu député lors du scrutin législatif de 2019, Agbéyomé Kodjo a été désigné, en janvier 2020, candidat porte-bannière pour le scrutin présidentiel de février 2020 du regroupement de formations politiques et d’associations de la société civile dénommé la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK). Il est déclaré au terme des résultats officiels, deuxième derrière Faure Gnassingbé, avec un résultat de 19,45% des suffrages exprimés.
Jusqu’à son dernier souffle, Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo, qui s’est estimé « président élu » du Togo lors dudit scrutin, n’a cessé de revendiquer par tous les moyens «sa victoire à lui volée » au point de former en exil un gouvernement
Après avoir cédé sa place de député, il vécut pour une seconde fois la vie de l’exil avec ses affres et déconvenues. Jusqu’à son décès, le lieu de son refuge était resté secret. Le 3 mars 2024, le décès du natif de Tokpli, un « audacieux doublé d’un téméraire » est annoncé à la surprise de tous ceux qui l’ont connu. Au-delà de son fulgurant parcours socio-professionnel et politique, l’ancien Premier ministre Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo n’a pas eu droit à des hommages officiels dus à son rang.
Gervais Koffi Amouzou