
Dans les couloirs « poussiéreux » des administrations publiques togolaises, un vent de transformation souffle. Exit les files d’attente interminables, les interactions opaques et les pratiques de corruption : la digitalisation des services publics est en marche. Avec la mise en place de la plateforme www.service-public.gouv.tg, le Togo réinvente son rapport à l’administration, promettant aux citoyens un accès plus rapide, plus transparent et plus équitable aux documents administratifs. Le casier judiciaire devient le symbole de cette mutation numérique qui bouscule les anciennes habitudes.
Jeudi 5 décembre 2024, il sonne 15 heures. Le soleil décline sur Lomé. A. Sylvie, elle, affiche un large sourire. À peine entrée dans un bureau du service de casier judiciaire au Tribunal de grande instance, elle en ressort aussitôt avec son casier judiciaire. Le processus n’a pris qu’une minute. Un record qui contraste avec ses souvenirs des files d’attente interminables d’autrefois.
« Avant, il y avait une grande foule. On nous rassemblait dans une salle, on faisait un appel. c’était une galère », raconte-t-elle, visiblement soulagée par la simplicité du nouveau système.
Sylvie n’est pas la seule à s’étonner de cette transformation. À ses côtés, Larisse, qui effectue sa toute première demande, est impressionné : « J’ai rempli un formulaire en ligne, payé via mobile money, et reçu un SMS avec un numéro de suivi. Aujourd’hui, je suis venu, j’ai montré le numéro, et l’agent m’a remis mon casier en une minute ».
En effet, Sylvie tout comme Larisse viennent de faire usage d’un volet des Infrastructures publiques Numériques (IPN), un concept récemment approuvé par le G20. Il désigne un ensemble de systèmes numériques partagés, sécurisés et interopérables, qui repose sur des technologies ouvertes et permet d’offrir un accès équitable aux services publics et/ou privés à l’échelle de la société (PNUD, 2023b).
La digitalisation des services publics fait donc partie du volet « échanges de données » des IPN, en plus des volets systèmes de paiements et identité.

Un nouveau modèle pour les services publics
Tout commence sur www.service-public.gouv.tg, la plateforme gouvernementale qui centralise les démarches administratives. En quelques clics, les citoyens peuvent soumettre leur demande, payer les frais requis et suivre l’évolution de leur dossier. Mme Tassa, du ministère de la Justice, explique les étapes : « Les demandes sont reçues en ligne et traitées sur une plateforme dédiée. Une fois la demande validée, un SMS est envoyé au demandeur pour l’informer que son casier est prêt. Le retrait peut se faire dans le centre choisi lors de la demande ».
Ce système allie simplicité et rapidité. Contrairement à l’ancien procédé, où les délais de traitement pouvaient s’étendre sur plusieurs jours, le casier judiciaire est désormais délivré en moins de 48 heures comme le souligne Mme Tassa : « Avant, il fallait souvent attendre 72 heures à une semaine. Aujourd’hui, le délai standard est de 24 à 48 heures, et dans des situations de faible affluence, tout peut être bouclé en quelques heures ».
Pour les citoyens comme Yendoube, cette avancée représente une véritable libération. Vivant à Lomé mais né à Dapaong, il se souvient des démarches compliquées qu’il devait entreprendre : « Je devais envoyer mes informations à un cousin à Dapaong et lui envoyer de l’argent pour ‘motiver’ les agents à traiter ma demande rapidement. Sinon, on vous disait de revenir dans une semaine. Maintenant, tout est fait depuis mon bureau, sans frais supplémentaires ».
Au-delà de l’amélioration des délais et de la simplification des démarches, la digitalisation du casier judiciaire est une arme redoutable contre un fléau endémique : la corruption. Dr Talaki Atiyouwè, Directeur de la Prévention à la Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA), explique : « Avant, le contact physique favorisait les pratiques corruptives. Les agents exigeaient souvent des frais supplémentaires pour accélérer le traitement des dossiers. Avec la digitalisation, ces interactions sont éliminées. Tout est automatisé et transparent ».
Ce changement est particulièrement visible dans le processus de paiement. Auparavant, des agents détournaient une partie des frais en manipulant les montants demandés. Désormais, les paiements se font exclusivement par voie électronique, rendant toute tentative de fraude quasiment impossible.
Transparence et efficacité
Cette réforme du casier judiciaire s’inscrit dans une stratégie nationale plus large visant à digitaliser les services publics. Cette initiative occupe une place de choix dans la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption de la HAPLUCIA, qui met un accent particulier sur la transparence et l’efficacité.
« La digitalisation est un outil clé pour la prévention de la corruption. En supprimant les interactions humaines, nous réduisons les opportunités de malversations. Nous encourageons les autres secteurs à suivre cet exemple », a souligné Dr Talaki.
L’impact de cette digitalisation ne se limite pas aux casiers judiciaires. Si les chiffres officiels ne sont pas encore disponibles pour évaluer l’impact global de cette initiative dans la lutte contre la corruption, les témoignages des bénéficiaires sont unanimes. « Avant, on me demandait souvent de payer le double des frais annoncés pour obtenir rapidement mon casier. Aujourd’hui, je paie exactement ce qui est demandé », explique Sylvie.
Même au niveau de la HAPLUCIA, c’est clair : « Même si je ne peux pas donner une vue d’ensemble sur les plaintes liés à la digitalisation ou non des services publics, ce qui est sûr, aujourd’hui, à vue d’œil on peut constater que celui-là qui a l’habitude d’aller physiquement payer ses frais et qui le fait maintenant par voie électronique, je ne vois pas par quelle alchimie on peut lui prendre des frais supplémentaires », a ajouté Dr Talaki.
Bien que des défis subsistent, notamment en termes de couverture numérique dans certaines zones rurales, le chemin parcouru est déjà remarquable. Pour des citoyens comme Sylvie, Larisse et Yendoube, la digitalisation des services publics au Togo n’est pas qu’un simple progrès technologique. C’est une promesse d’équité, d’efficacité et de transparence.
Joël DADZIE
Reportage réalisé dans le cadre de la Phase II du programme de Bourse de Journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) initié par la Media Foundation of West Africa (MFWA) et Co-Develop