
Les Togolais étaient hier jeudi 17 juillet dans les urnes pour élire les conseillers municipaux, la première élection municipale organisée sous la 5e République. Dans plusieurs centres de vote que nous avons visités à Lomé dans la matinée, le constat est sans appel. Les électeurs ont brillé par leur absence.
Entre 10 h et 12h, une équipe de la rédaction a sillonné plusieurs bureaux de vote dans les communes du Golfe. De l’École Primaire Catholique de Yokoe (Golfe 7) à l’École Primaire Catholique Notre Dame des Apôtres (Golfe 4), en passant par l’École Primaire Publique de Wonyomé (Golfe 7), l’EPP Aflao-Gakli (Golfe 5), le CEG Tokoin Nord (Golfe 3) ou encore l’École Primaire Évangélique de Lom-Nava (Golfe 4), le constat était le même : les lieux étaient désespérément déserts.
Tous les bureaux de vote étaient ouverts, mais les électeurs n’étaient pas au rendez-vous. L’affluence était si faible qu’un électeur pouvait arriver, voter et repartir en quelques minutes, sans faire la moindre file d’attente.
« Les gens ne viennent pas du tout. Depuis ce matin, nous n’avons enregistré qu’une vingtaine d’électeurs. Contrairement aux précédentes élections où il y avait de l’affluence à cette heure, les populations, manifestement, ne se sent pas concernées par ces élections », a confié un président d’un bureau de vote à l’EPP Wonyomé dans la commune du Golfe 7.
L’ambiance était morose à l’intérieur des bureaux. Certains membres du personnel électoral, désœuvrés, s’étaient assoupis sur les bancs. Dans ce même centre, l’un des plus grands de la commune, plusieurs électeurs ont dû rebrousser chemin, incapables de retrouver leurs noms sur les listes électorales.
« Je suis là depuis ce matin à chercher mon nom. On me renvoie d’un bureau à l’autre, sans succès. Franchement, c’est épuisant. Et puis, les votes ne changent rien dans ce pays. Je préfère rentrer », s’est agacé un électeur qui a préféré rentrer. Un membre de bureau que nous avons eu à approcher, nous a informés que le numéro vert censé aider les électeurs à localiser leurs bureaux, ne passait pas. Raison pour laquelle il était difficile pour certains électeurs de se retrouver vu que le centre est grand.
Malgré cette situation, certains membres des bureaux de vote gardaient espoir en début de journée. « C’est très calme depuis ce matin ici à Aflao-Gakli. Les gens hésitent à sortir, probablement à cause des appels à manifester et des tensions des 26, 27 et 28 juin. Mais nous espérons que ceux qui ont voté vont motiver les autres, et qu’il y aura un sursaut d’ici la clôture », a déclaré le président d’un bureau de vote à l’EPP Aflao-Gakli.
Même son de cloche chez Gérard Adja, tête de liste de la Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP) dans le Golfe 5, rencontré sur place vers 10h 30 après avoir voté.
« C’est très timide ce matin. Et si ça reste ainsi jusqu’au soir, ce serait vraiment regrettable. Nous comprenons les réticences, mais j’appelle tous les Togolais à accomplir leur devoir. Le changement que nous espérons passe par le vote. C’est le vote qui permettra de choisir ceux qui vont œuvrer pour ce changement. Il n’est pas encore trop tard », a-t-il lancé.
Mais en fin d’après-midi, entre 15h et 16h, un nouveau passage dans les mêmes centres n’a pas montré de changement notable. Toujours très peu d’électeurs, et toujours la même lassitude sur les visages du personnel électoral. Certains électeurs sont arrivés après 16 heures. Les bureaux étant déjà fermés.
Cependant, dans certaines localités à l’intérieur du pays, des cas de fraudes ont été signalés çà et là. Des individus ont été surpris en possession de plusieurs bulletins de vote à Anfoin dans les Lacs et à la frontière du Togo avec le Bénin. Des bourrages d’urnes ont été également signalés ailleurs comme dans le Yoto où déjà, à 6 heures, avant l’ouverture des bureaux, les urnes étaient déjà remplies.
« A Agboguede hoè, où nous avons dénoncé le bourrage d’urnes, la Force Sécurité Élection Municipale (FOSEM), accompagnée du Secrétaire Général de la Préfecture de Yoto, est intervenue promptement sur les lieux. Le Président du Bureau de vote ainsi que son rapporteur ont été interpellés pour les besoins de l’enquête. Conformément aux mesures prises, les urnes ont été vidées et les opérations de vote vont reprendre dans les conditions prévues par la loi et dans le respect de la transparence », a rapporté une source.
Dans une dictature familiale de 58 ans où le régime en place a systématiquement orchestré des braquages électoraux, à travers des méthodes viles et abjectes (violences, achats massifs de consciences et de votes, enlèvements et bourrages d’urnes, substitutions d’urnes et de procès-verbaux, manipulations et tripatouillages des résultats, etc.), Nathaniel Olympio, porte-parole du front « Touche Pas A Ma Constitution », n’a jamais cru aux vertus des élections. D’autant plus que depuis la nuit des temps, c’est le pouvoir en place qui a toujours « remporté » les élections. Et les partis d’opposition sont programmés pour perdre, avec une régularité déconcertante.
Les dernières élections législatives ont été les frauduleuses dans l’histoire du Togo. Alors que le pouvoir de Faure Gnassingbé est fortement contesté par l’écrasante majorité des Togolais avides de l’alternance, de la justice et de la liberté, il a réussi à s’octroyer la quasi-totalité des 113 sièges à l’Assemblée nationale, en ne concédant que quelques 5 strapontins à toute l’opposition.
Les municipales d’hier ne devraient pas déroger à la règle. Comme pour les législatives, le régime a battu le rappel de tous les ministres, cadres, directeurs de société, etc., qu’il a lancés dans l’arène. Pendant que les jeunes sont descendus dans les rues pour exprimer leur ras-le-bol et exiger la démission de Faure Gnassingbé, son parti, UNIR, comme par extraordinaire, va de nouveau opérer une razzia dans les urnes et affecter quelques sièges aux autres formations politiques.
Comme le souligne cet observateur, le régime togolais, de père en fils, « reste fondé sur une omniprésente et sourde menace soutenant un jeu aux règles faites sur mesure pour sa perpétuation, « pile, je gagne ; face, tu perds » : un jeu sans alternance possible ; coup d’Etat permanent ».
Pour Nathaniel Olympio, les élections au Togo n’auraient de sens que si le pouvoir change de main. « Quand le changement à la tête du pays sera effectif, les élections retrouveront leur place d’honneur », suggère-t-il.
Joël D.




