
Nombreux étaient les Togolais qui doutaient de la sincérité des gouvernants à lutter contre la gangrène de la corruption au plus haut sommet de l’Etat. A l’aune de ce que certains Togolais se prévalant du titre de députés, ont fait à travers l’adoption d’une Constitution « à leur convenance », il est désormais clair que la prévention et la lutte contre ce phénomène via la déclaration des biens et avoirs restera un mythe. Excepté quelques présidents et membres d’institutions qui se sont prêtés à l’exercice. Désolant, tout simplement.
A quoi auront alors servi les énergies dépensées, mais surtout les fonds engagés pour promouvoir la déclaration des biens et avoirs ? A quoi auront servi la mise en place du Médiateur de la République et la mise à disposition du personnel devant aider Mme Awa Nana dans sa mission ? Aujourd’hui, on comprend mieux lorsqu’elle disait au moment du lancement de cette opération, qu’il revient aux hommes de médias de faire leur part pour que ce processus aboutisse. Les faits lui donnent raison.
Quand la mauvaise volonté apparente vient du sommet de l’Etat, on ne peut plus espérer grand-chose du reste de l’administration. Comme le disait Alexandre Dumas, fils, « lorsque les classes supérieures donneront l’exemple, les classes inférieures le suivront. Quand vous verrez du vin dans le haut de la bouteille, soyez assuré qu’il y en a au fond ». Malheureusement, au Togo, les dirigeants sont des exemples mêmes à ne pas suivre. On se demande naturellement si la mise à mort de la Constitution au profit d’une autre et le saut mal effectué vers une nouvelle loi fondamentale n’étaient pas savamment pensés des années à l’avance.
Dans la Constitution qu’on cherche à gommer de la mémoire des Togolais, il est écrit : « article 145 : Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents et les membres des bureaux de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil économique et social, de la Commission nationale des droits de l’Homme, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats des cours et tribunaux, les directeurs des administrations centrales, les directeurs et comptables des établissements et des entreprises publics, doivent faire, devant le Médiateur de la République, une déclaration de leurs biens et avoirs, au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi organique détermine les conditions de mise en œuvre de la présente disposition ainsi que les autres personnes et autorités assujetties. Elle précise l’organe qui reçoit la déclaration des biens et avoirs du Médiateur de la République, au début et à la fin de sa fonction ».
Mais dans ce qui a été adopté et promulgué par le chef de l’Etat, voici ce qu’il en reste : « Article 83 : La Haute autorité pour la transparence, l’intégrité de la vie publique et la lutte contre la corruption est chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics. Elle reçoit les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts des responsables publics. La Haute autorité pour la transparence, l’intégrité de la vie publique et la lutte contre la corruption peut également être consultée par les responsables publics sur des questions de déontologie et de conflits d’intérêt relatives à l’exercice de leur fonction. Une loi organique détermine la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Haute autorité pour la transparence, l’intégrité de la vie publique et la lutte contre la corruption ».
Le Médiateur de la République n’existerait-il plus à peine après 3 ans d’existence ? En rappel, c’est la loi organique n°2020-003 du 24 janvier 2020, modifiée par la loi organique n°2021-13 du 1er juillet 2021 qui a fixé les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics.
S’agissant de la composition, l’organisation et le fonctionnement des services du Médiateur de la République, la loi organique n°2021-006 en est le soubassement juridique. Soit dit en passant, des fonds importants ont été engagés pour divulguer ces deux lois organiques. Va-t-on accepter de jeter des fonds par la fenêtre ? Pour en savoir davantage, nous avons été au siège de l’institution. Ce que nous y avons appris atteste que la volonté politique est loin de guider ce processus de déclaration des biens et avoirs.
Ainsi, depuis le lancement du processus le 30 janvier 2023, et malgré le séminaire de sensibilisation organisé à l’intention des membres du gouvernement le 21 février de la même année, il est regrettable et dangereux qu’à ce jour, aucun membre du gouvernement, ni de l’Assemblée nationale, n’ait jugé honnête et obligatoire de sacrifier à l’exigence de ladite déclaration. Comment peut-il en être autrement lorsqu’on apprend que même le chef de l’Etat au nom de qui toutes les actions sont entreprises au Togo, et le Premier ministre, couplé à la présidente de l’Assemblée nationale, n’ont pas estimé juste de respecter la Constitution qu’ils se sont donné.
Dans les explications que nous avons reçues, il semblerait que l’imminence des élections législatives et régionales serait la raison. Soit ! Mais alors, que dire des institutions dont le mandat arrive aussi à expiration, mais dont les membres se sont pliés à l’exigence ?
Et avec la reconduction –pas la nomination du Premier ministre pour une durée de 12 mois-, rien ne garantit que le manque de considération au peuple et à la Constitution togolaise sera corrigé. Il y a pourtant des citoyens qui doivent être félicités pour avoir respecté l’exigence ; certainement parce qu’ils n’ont rien à se reprocher.
Le président de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (Haplucia), ceux de la Cour des comptes avec son secrétaire général et de la Cour Constitutionnelle, et celui de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) avec ses membres ont déclaré leurs biens et avoirs. Sans que la terre ne cesse de tourner autour du soleil. Et surtout sans que le commun des Togolais ne sache.
L’autre incongruité dans la « République neuve » et sa Constitution est la disparition de la Haute cour de justice à laquelle le Sous-titre III composé de 4 articles a été consacré. Par exemple l’article 122 qui disposait : « Les magistrats de la Cour Suprême ne peuvent être poursuivis pour crimes et délits commis dans l’exercice ou à l’occasion ou en dehors de leurs fonctions que devant la Haute Cour de justice », n’existe plus. De même l’article 128 qui disposait que « La Haute cour de justice connaît des crimes et délits commis par les membres du Gouvernement et les membres de la Cour suprême » est devenu un OVNI. Comme si, du fait de la Constitution neuve, ces crimes et délits n’existeront plus sur la Terre de nos aïeux.
On pourra deviser sur le nouveau-né de mère Assemblée nationale toute une journée sans finir de relever les carences ou largesses y contenues. Une chose est certaine, une nouvelle Constitution est conçue pour améliorer l’avancée d’un pays ou sa gouvernance. Pas pour le faire « reculer de 100 ans en arrière », comme le prédisait Gnassingbé père. La reconduction de Victoire Sidémého Marie-Noëlle Djidudu Tomégah-Dogbé comme Cheffe du gouvernement, la nomination de Sévon Kodjo Adedze comme président de l’Assemblée nationale et la double casquette de Faure Gnassingbé comme président de la République et président du Conseil des ministres sonneront-t-elles l’ère de la déclaration des biens et avoirs ?
Avec la suspension sournoise du processus, bien mal qui voudra parier un franc symbolique sur l’affirmative. Mais il est une évidence qui découle d’une analyse pointue, le refus des hautes personnalités de se conformer à la déclaration des biens et avoirs depuis janvier 2023 est une preuve qu’en réalité, la modification constitutionnelle était dans les officines du pouvoir depuis des lustres. Chacun savait qu’il n’y serait plus obligé après l’adoption de la Constitution « yéyé tchoin » (flambant neuve).
Il est quand triste et révoltant que des fonds à 6 ou 7 chiffres soient engagés sur le dos du contribuable et qu’au final, on passe cette exigence par pertes et profits. Dommage pour un pays qui se rêve émergent dans un futur proche. Le slogan « Le Médiateur de la République…Un recours pour le citoyen, un conseiller pour l’administration » n’aura duré que le temps de l’adoption d’une Constitution « neuve ».
Godson K.




