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Agriculture et inclusion financière au Togo : Le paiement numérique redonne le sourire aux femmes rurales

Novissi ! Ce mot « Mina » qui signifie “entraide” en français est devenu plus qu’un simple programme de transferts monétaires. Mis en œuvre par le ministère de l’Économie numérique, en pleine pandémie de Covid 19 en 2020, avec la mesure de confinement, il a apporté un souffle d’espoir aux foyers les plus fragiles. Il a redonné aux femmes et aux hommes des villages la force de croire qu’un avenir restait possible.

 

Dans le petit canton de Fiata Djigbé, au sud du Togo, Houenonvissi regarde ses chèvres brouter paisiblement. Veuve et mère de plusieurs petits-enfants, elle a déployé une énergie nouvelle depuis qu’elle a reçu les premiers transferts Novissi, quelques années auparavant.

« J’ai commencé à épargner un peu, à acheter des chèvres, et à préparer pour les urgences », confie-t-elle. Ce n’était pas une fortune — 8 170 francs CFA versés deux fois par mois — mais suffisant pour amorcer une transformation. Cette histoire symbolise une révolution silencieuse : quand le numérique atteint les campagnes, chaque franc devient semence de progrès et de dignité.

Tout avait commencé en avril 2020 avec la première phase de Novissi. Elle avait concerné les zones urbaines, avec des inscriptions par code USSD (Unstructured Supplementary Service Data) et la carte électorale. Mais c’est en novembre 2020 que le programme a franchi un cap décisif. Le modèle 2, ciblant les 100 cantons les plus pauvres du pays.

Le document « Novissi Togo – Harnessing Artificial Intelligence to Deliver Shock-Responsive Social Protection », portant le numéro 2306 dans la série des « Social Protection and Jobs Discussion Papersé de la Banque mondiale, daté de septembre 2023, a été consacré à « Novissi ». Selon ce document, pour identifier les bénéficiaires, une méthode inédite fut mobilisée : analyse d’images satellites croisée avec des métadonnées téléphoniques. « Sur 5,7 millions de personnes, les algorithmes (procédés informatiques de sélection) ont priorisé 57 000 bénéficiaires dans les zones rurales les plus démunies », a souligné le document.

« Cette stratégie numérique était rapide, ciblée et adaptée aux réalités rurales », avait expliqué Cina Lawson, ministre de l’Économie numérique et de la Transformation digitale, qui a piloté la conception du programme.

Selon un article de Cio-Mag, le recours aux technologies d’intelligence artificielle et d’imagerie géospatiale a permis d’identifier les zones les plus démunies en temps réel, ce qui a rendu possible un ciblage précis et équitable, même sans infrastructure physique. Entre novembre 2020 et mars 2021, 57 000 bénéficiaires ont reçu régulièrement des transferts, directement sur leur téléphone. Les femmes percevaient 8 170 FCFA par paye, contre 7 000 FCFA pour les hommes — un choix assumé pour réduire les inégalités de genre.

 

Inclusion financière

Novissi n’a pas été seulement une aide d’urgence. En introduisant le mobile money au cœur des foyers, le programme a posé la première pierre d’une inclusion financière rurale. Même sans smartphone ni Internet, via le simple code USSD, les femmes pouvaient recevoir et gérer leur argent. À Kpalimé (), Kokoé, maraîchère, raconte : « Avec cet argent, j’ai payé les semences de tomates, et surtout la scolarité de mes deux filles. Avant, j’étais obligée d’attendre un prêt d’un cousin en ville. Là, j’ai agi tout de suite ». Même son de cloche chez Houenonvissi, à Fiata Djigbé. « J’ai diversifié mes revenus, investi dans des chèvres, et j’ai commencé à économiser pour les urgences ».

Mais des défis sont apparus. À Bassar, Alima, cultivatrice de manioc, se souvient. « Le réseau tombait parfois en panne, et je devais marcher plusieurs kilomètres pour trouver un agent de retrait ». De plus, toutes les femmes n’avaient pas accès à un téléphone portable. Une étude publiée par Brookings Institutions dans Foresight Africa (mars 2023) souligne cette fracture de genre : dans de nombreux villages, les hommes étaient les principaux détenteurs des appareils, forçant certaines femmes à dépendre encore d’un tiers pour retirer leur argent.

Au total, sur les deux phases, le programme a touché 920 000 Togolais, dont 63 % de femmes. Selon la Banque mondiale, ce dispositif a accéléré l’ouverture de 170 278 nouveaux comptes mobile money en moins d’un an, soit +7 % de pénétration financière dans le pays.

 

Le numérique, catalyseur d’autonomie

La force du modèle 2 réside dans le changement subtil mais durable qu’il a apporté au quotidien des femmes. Là où l’argent passait autrefois par des tontines, des prêteurs ou des proches, les bénéficiaires ont reçu directement leurs transferts, en toute autonomie.

Cette autonomie financière s’est traduite par des choix plus affirmés : paiement de scolarité, achat de semences, constitution d’un petit capital. Pour beaucoup, c’était aussi une dignité retrouvée. « C’était la première fois que de l’argent entrait chez moi sans passer par mon mari. J’ai acheté des intrants agricoles et j’ai gardé une partie pour les frais de santé », raconte Amina à Anié.

Conçu d’abord comme une réponse d’urgence à la pandémie, Novissi est désormais considéré comme une Infrastructure Publique Numérique (IPN).  Novissi est ainsi devenu bien plus qu’une aide ponctuelle : un laboratoire à ciel ouvert pour l’avenir de la protection sociale en Afrique de l’Ouest.

Le modèle 2 de Novissi a prouvé qu’un programme de transferts monétaires numériques pouvait atteindre même les villages les plus reculés, tout en favorisant l’autonomie financière des femmes rurales.

Joël Dadzie

 

 

Encadré

De la ville au village !

Lancé au plus fort de la pandémie de COVID-19, Novissi a d’abord ciblé les travailleurs du secteur informel vivant dans les grandes villes, particulièrement touchés par le couvre-feu et les restrictions de déplacement. Grâce à une inscription par USSD et des paiements via TMoney et Flooz, des dizaines de milliers de bénéficiaires recevaient un transfert mensuel pouvant atteindre 20 000 F CFA pour les femmes et 12 250 F CFA pour les hommes.

Dans un second temps, le programme a été élargi aux zones rurales, notamment dans les préfectures les plus vulnérables. Ici, l’accent a été mis sur les ménages agricoles et les petits producteurs, permettant d’amortir le choc économique dans des communautés souvent exclues du système bancaire classique.

Novissi est plus qu’un simple programme de transferts sociaux. C’est une Infrastructure Publique Numérique : une plateforme de l’État togolais qui permet de cibler, identifier et transférer directement des fonds à grande échelle, en toute transparence. À travers Novissi, le Togo s’est imposé comme pionnier en Afrique dans l’utilisation du numérique pour l’inclusion sociale et financière.

 

Reportage réalisé dans le cadre de la Bourse de Journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) organisée par la MFWA (Media Foundation for West Africa) avec l’appui de Co-Develop

 

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